Ma théorie est simple Fred. Que nous apprennent les dessins animés genre Schtroumpfs ou Bisounours ? Réfléchis encore tu vas voir. Bon ok. Ils nous mettent en tête qu'un personnage peut être unidimensionnel, qu'un individu, puisque ces personnages sont malgré tout des formes d'individus, peut se résumer à vie à un trait de caractère. Prend le schtroumpf farceur. H 24, que fait le mec ? Il planifie la prochaine farce ! Il calcule l'intensité du pétard qu'il introduira dans son prochain paquet cadeau. Pas de pause entre deux gags, comme pour tout comique qui se respecte, non non : contrairement à Bigard, Eddy Murphy ou Florence Foresti, qui prennent au moins le temps de jouer du Molière, tourner un polar ou faire un enfant, le schtroumpf farceur n'est que farce ! On peut dire la même chose du schtroumpf coquet. A côté de lui, qui se balade dans le village miroir à la main, H24 encore une fois, Narcisse est le gars le plus négligé du monde !
Ce que je veux dire, c'est qu'il est
indispensable à la survie d'un groupe, même si chacun a une
fonction donnée, de s'accorder la possibilité du pas de
côté. Tu comprends ou non ? C'est pour ça que j'ai décidé
de prendre mes distances : pour ne pas rester à vos yeux
l'homme qui rit. La vache si tu veux. Fred, sérieux...
Pourquoi on en est venu aux mains avec
Charlie ? Parce qu'il se vautrait comme le dernier des blaireaux dans
ses convictions. A ses yeux, j'avais pas le droit de trouver sa
blague lourde. On vaut mieux que ça quand même, tu penses pas ?
Charlie, on a tout fait ensemble, il me connaît mieux que vous tous
réunis. Pareil pour moi. Si quelqu'un sait que je ne suis pas H24
l’homme qui rit, c'est ce type. Ce que je comprends pas, c'est son
manque de respect pour ma situation. J'ai un putain de procès au cul
et lui, sous prétexte de me distraire, appuie là où ça fait mal,
en vrai sadique ! C'est pas faute de lui avoir dit d'arrêter tu
penses pas ? Tu m'as bien entendu non, lui répéter dix, quinze
fois, encore et encore de pas aller trop loin, que s'il cherchait mon
poing dans la gueule, il allait l'avoir, tu m'as entendu oui ou non ?
Toi, t'aurais compris non, même si on a pas fait les quatre cent
coups ensemble ? T'es pas buté toi ?
C'est pour ça que j'ai aucun remord
Fred. J'irai pas m'excuser. Et puis quoi encore ? Lors de son
dernier divorce, j'ai passé un mois, un mois chez lui à
veiller à ce qu'il se bute pas ! Et pourtant, c'était pas faute
d'en avoir moi-même, des merdes. Ce connard, j'ai même négocié
avec son ex pour qu'elle aille pas trop loin et ne s'oppose pas à
ses visites hebdos à leur fils. Ça m'a pris des centaines d'euros
d'essence en allers-retours d'une banlieue à l'autre, je lui ai même
pas dit ! De toute manière, vu son état, comment j'aurais pu
être fou pour ajouter de l'huile sur le feu en lui parlant fric ?
Je voulais pas avoir son suicide sur la conscience. Mais tu vois, là,
en y réfléchissant bien, je me dis que ça aurait peut-être été
mieux pour tous.
J'abuse, je sais.
Mais non je chiale pas, c'est ce putain
de vent, là. On marche un peu ? Tu fais quoi ce soir ? Ok.
Viens, on marche jusqu'au métro. Courcelles, c'est par là.
Sérieux, Fred, je savais plus quoi
faire. L'audience est après-demain, Charlie m'a limite pété la
mâchoire. Et moi je lui ai sans doute cassé la couille gauche !
Au sens propre en plus ! Ha ! Ça vous a fait peur, hein,
de me voir lui bondir dessus comme ça. Je comprends. Ça fait au
moins dix ans que j'avais pas perdu le contrôle comme ça. Lui, il
m'a déjà vu péter un plomb, il savait parfaitement à quoi s'en
tenir, c'est pour ça que je comprends pas qu'il ait insisté !
Il le demandait ce coup, j'te jure ! Il voulait en rajouter dans
mes merdes, comme si j'en avais pas déjà assez ! Lui-même,
lorsqu'il essayait de nous séparer avec les autres dockers à
l'époque, disait que j'étais fort comme un lion, le mec limite
dangereux qui pouvait écraser une tête sur le bitume si on lui
avait mal parlé. Moi, les Materazzi, c'est pas à coup de tête que
je les calme, mais de griffes. Hier, Charlie a été mon Materazzi,
et il a juste eu de la chance que j'aie pas été au mieux de ma
forme.
Allez, rentre bien. Si tu vois les
autres, les prochains jours, dis-leur que je suis désolé, pas pour
l'autre là, mais de les avoir bousculés au passage. J'avais la rage. Ils
peuvent être lourds eux aussi, mais sur ce coup ils méritaient pas
ça. T'en fais pas pour moi. On sera fixé sur mon sort dans 48
heures à tout casser.
Fred. Comment il fait pour être aussi
humain ce gars. Rien ne le choque on dirait. Moi à sa place, mais
jamais j'aurais voulu revoir aussi vite un mec qu'a pété une
durite comme ça. Bon. En tout cas, pour la tournée
saisonnière, il vont devoir trouver un nouveau batteur. Mes doigts
sont en compote pour un bon bout de temps.
Je peux entrer ? T'inquiète,
j'peux plus te faire grand chose. Mate mes mains, elles ont pas
désenflé. Merci. Une bière ça ira.
Ça va toi ? Je veux dire, de
couilles, t'en comptes combien aujourd'hui ? Ah ah ah ah !
Non mais sérieux, tu voulais que je te
tue ou quoi ? Qu'est-ce qui t'a pris ? J'te jure, pendant
deux minutes, je te fixais en me disant que t'irais pas au bout, que
t'allais comprendre que le lion était pas mort. Mais non, toi t'as
voulu aller au bout du délire, quoi ! Si j'te connaissais bien,
je me dirais même que t'as voulu que je me défoule sur toi pour
évacuer le stress. Genre tu t'offres en punching-ball pour me venger
de toute l'injustice du monde. Mais si c'était le cas, t'aurais pas
répondu à mes coups, pas vrai ? Tu te serais laissé tordre
dans tous les sens sans répliquer ? Regarde ma joue, là,
rouge ! T'as fait des progrès en tout cas depuis notre dernière
bagarre. Ça remonte hein ! Faut dire que t'as pris les kilos
que j'ai perdus. La bibine, ça conserve ! Oh, fais pas cette
tête, tu me la dois bien, celle-là !
Je sais pas trop ce que je risque.
C'était pas vraiment un cambriolage, je récupérais juste mon dû.
Ce vieux crevard refuse de me revendre l'uniforme de guerre de mon
oncle. Je lui propose un sacré prix en plus, vu mon budget !
2000 euros, que j'aurais essayé de payer en deux ou trois fois. Il a
rien voulu savoir. Cet uniforme, t’imagines même pas. C'est
peut-être la seule chose qui me rendrait un peu fier de ma saloperie
de famille. Mon oncle, c'est le seul mec de la dynastie qui a été
prêt un jour à laisser un membre pour sauver une vie. Des héros
comme lui, t'en as plusieurs dans certaines familles. Dans la mienne,
c'était le seul. Même moi, regarde, pour quoi je me bats ? Une
clope, une amende, une vanne mal placée. Tout pour ma gueule, comme
d'hab. Mais comment tu veux en même temps qu'on devienne un héros
de nos jours ? Comment ne pas être obsédé par son petit
confort lorsqu'on a chaque jour des raisons de vouloir tout casser ?
J'ai bientôt 35 ans Charlie, et t'as vu où j'en suis, à me foutre
dans la merde pour vivre par procuration la gloire d'un oncle mort
y'a des années !
Ah ah, connard, mes complaintes te font
poiler ! Bon allez tchin et fais pas chier !
Le vieux a accepté de me donner
l'uniforme, sans contrepartie. Deux mois fermes pour l'infraction.
C'est pas la joie mais c'est déjà ça. J't'explique. En voyant ma
face à moitié en compote, ils m'ont demandé ce qui m'était
arrivé. Je leur ai dit la vérité, insistant juste comme y faut sur
les circonstances de mon coup de colère, ma honte de ne pas être à
la hauteur de cet oncle dont je suis privé de la seule trace
d'existence. Faut croire que j'ai été convaincant. J'étais sincère
en plus ! Le vieux a peut être culpabilisé de son passé de
collabo, on sait pas. Rohhh !
Vous vous en sortez pour la tournée ?
Il gère mon remplaçant là, comment déjà ? Romuald... J'ai
toujours détesté ce prénom mais bon, vous alliez pas le recaler
pour ça hein ! Ah ah ah ! Y tape, quoi, y s'adapte. Mon
codétenu sort dans deux semaines, il est plutôt branché rock lui
aussi. Y sait pas jouer non, mais il m'a dit qu'il s'arrangerait pour
venir vous voir jouer sur une date. T'imagines pas comme y me tarde
de vous retrouver mon Charlie. Le lion n'est pas mort. Il a déjà
une patte hors de sa cage.
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